La traverse des français
Avec ses 5 643 m, l’ Elbrouz est le plus haut sommet d’Europe. Situé dans le Caucase au nord de la Géorgie, il domine les plateaux de la république de Kabardino-Balkarie.
Alors que je vis à Moscou, je décide de tenter l’ascension fin juin, période qui me semble idéale pour ses longues journées. En cette saison, les crevasses sont généralement encore bouchées. Je propose à deux amis de m’accompagner : Maylis et Dima. Nous choisissons la face nord, du même niveau de technicité que la face sud (niveau Facile) mais plus physique (1 850 m de dénivelés positifs le jour de l’ascension), moins fréquentée (environ 10 grimpeurs par jour contre 100 de l’autre côté) et surtout préservée des destructions de l’homme : la face nord est vierge de toute installation mécanique. Je précise que pour cette ascension aucun permis n’aura été nécessaire. Nous nous sommes simplement enregistrés au camp d’assaut – штурмовой лагерь auprès des secours de haute montagne – МЧС. Démarche simple et gratuite.
Chapitre 1 – Face Nord
Notre petit groupe prend l’avion de Moscou le 27 juin pour Mineralnye Vody – Минеральные Воды. Ensuite, nous prenons le taxi pour Kislovodsk – Кисловодск ou nous passerons une première nuit. Le lendemain, nous parvenons à convaincre un taxi de nous déposer à Dzhily-Su – Джилы су. En effet, il est plus commun de réserver un 4*4 qui vous dépose directement au camp de base – базовый лагерь de la clairière d’Emmanuel – поляна эммануэля à 2 550 m. Ayant fait le chemin inverse par ce moyen, je vous recommande plutôt de partir à pied de Dzhily-Su. C’est une courte approche de quelques 300 m de dénivelés, idéal pour se mettre en jambe.
Attention tout de même : juste avant la clairière, le chemin principal traverse une rivière. Après plusieurs tentatives infructueuses (l’eau nous arrive aux cuisses), nous décidons de faire demi-tour. Heureusement, en revenant sur nos pas nous découvrons un ponton naturel qui nous évite un retour à la case départ. Nous arrivons au camp de base juste avant le crépuscule.
Au camp de la clairière d’Emmanuel comme au camp d’assaut nous avons fait le choix de la pension complète en dortoir pour environ 50€ / jour. Nous choisissons le campement – лагерь de Lakkolit qui dispose d’installations dans les deux camps et qui propose la location d’équipements techniques (seulement au camp de base). Nos hôtes sont charmants et nous soupçonnons Dima d’avoir trouvé une nouvelle raison (en plus de l’opportun gâteau) de vouloir rester au camp.
Nous échangeons avec un russe qui nous explique les règles strictes d’une ascension soviétique bien organisée. Notamment, pour grimper un sommet de niveau X, il faut déjà avoir fait ses preuves sur un sommet de niveau X-1. Il faut grimper par palier en respectant précisément le dénivelés prescrit par jour d’acclimatation. On se regarde tous les trois : je ne crois pas qu’on ait prévu de respecter un seul de ces points. Je préfère la philosophie « sans oxygène, sans corde fixe et sans assistance » de Mike Horn.
Le lendemain, c’est parti pour une 1ère journée d’acclimatation. Nous faisons une boucle jusqu’au camp d’assaut à 3 800 m en passant par les champignons de pierre. Les premiers névés apparaissent juste en dessous du camp d’assaut ou nous nous entrainons sur une pente douce à l’arrêt d’une chute avec ou sans piolet. Puis retour sur le camp de base ou Dima nous abandonnera dans une magnifique Bukhanka (UAZ-452) pour Kislovodsk puis Moscou.
Le vendredi 30 juin, Maylis et moi repartons pour le camp d’assaut, cette fois-ci chargés de tous nos équipements.
Les prévisions météos sont plutôt bonnes : beau temps le 1er juillet, de la neige le jour suivant puis de nouveau ensoleillé. Nous profitons donc de notre premier jour au camp d’assaut pour réaliser une nouvelle acclimatation.
D’un bon rythme, nous partons à 7h en direction des roches de Lenz – скалы ленца. Le chemin est évident : les roches sont en face, il faut grimper tout droit. Les traces des expéditions précédentes nous le confirment.
Nous arrivons au rocher solitaire situé à 4 400 m à 09h40. Environ 230 m / h. Nous sommes en forme, sans symptômes du mal aigu des montagnes. A partir de ce premier rocher la voie est balisée jusqu’au sommet par des piquets tous les 100 m. Nous continuons jusqu’au début des roches à 4 600 m puis nous réfugions entre les rochers pour casser la croute. Il fait beau mais le vent souffle. Je propose à Maylis de continuer car je veux profiter de cette journée pour nous tester. Arrivé à 4 700 m, un mal de tête me surprend soudainement. Maylis suit, sans symptômes. Alors que le brouillard se lève, nous décidons d’en rester là pour la journée.
Nous consacrons notre deuxième journée à de la lecture et au repos. Maylis dort mal, elle n’est pas très sereine vis-à-vis de cette ascension. Il faut avouer que je donne l’impression de tout prendre à la légère. Pourtant, nous nous entrainons à la sortie de crevasse dans notre hutte. Ça ne l’a peut-être pas rassurée…
Nous échangeons avec les secours sur la météo et le parcours à suivre pour atteindre le sommet ouest (le plus élevé) généralement atteint par la face sud. Nous devons prendre une traverse. Les secouristes / guides sont très confiants : « prenez à droite en dessous du sommet est ou prenez la traverse qui commence plus bas au niveau du milieu des roches mais potentiellement crevassée ». Nous rencontrons un groupe de quatre russes qui partent le soir même à 23h. Ils nous proposent gentiment de se joindre à eux.
Nous voilà donc partis de nuit d’un rythme plutôt lent (mais finalement idéal !) imposé par le groupe. Nous prenons une première pause derrière les rochers à 4 600 m pour se protéger du vent. Les amis russes sont bien équipés. Ils n’en sont pas à leur première ascension. Ils nous proposent des dopants : nous acceptons les vitamines. Je prends également du paracétamol en prévention des maux de tête.
Nous progressons lentement avec des pauses de plus en plus fréquentes. Il faut boire et manger à intervalle régulier. L’eau du tuyau de mon camelbak gel : j’ai oublié de souffler dedans pour évacuer. Nous arrivons finalement en haut des roches de Lenz, à 5 250 m. Nous décidons de prendre la traverse un peu plus haut, à 5 300 m, afin de ne pas avoir de dénivelé à faire jusqu’au col situé à la même altitude. On se souhaite bonne chance avec le groupe qui continue sur le sommet est.
Nous nous engageons au hasard sur cette traverse. Il n’y a pas de piquets ni de traces. Le début est peu raide et bien que la neige dure présente quelque reliefs nous progressons facilement. Depuis notre départ nous sommes non encordés : il n’y a pas de crevasses sur la voie normale, la pente est douce et la surface non verglacée. Petit à petit la pente s’accentue et des crevasses apparaissent en dessous. Au moment où je me dis qu’il serait mieux de s’encorder nous sommes déjà engagés. Je vois le col à quelques 600 m. Nous continuons. Maylis semble épuisée : elle avance de plus en plus doucement. Ou serait-ce « la flemme » ? Je me retourne tous les 100 m pour vérifier sa présence (je m’inquiète un peu) et l’attendre. Je me rappelle que je suis responsable de son bon retour.
Nous arrivons finalement au col à 09h55 après presque 11h de marche (140 m / h). Nous pensions utiliser l’abri d’urgence – аварийный приют Red Fox comme point de repos et de restauration avant de continuer. Malheureusement ce ne sera pas possible : l’abri est complètement bouché par la neige. Maylis me signale qu’elle ne m’accompagnera pas au sommet et me suggère de continuer tout seul. Je suis moi-même fatigué. J’évalue que l’aller-retour du col au sommet me prendra environ 3h. La décision n’est pas facile à prendre mais évidente. Je ne peux pas laisser Maylis toute seule au col alors qu’il est déjà 10h et que le chemin du retour n’est pas évident. C’est l’abandon.
Reste à choisir le chemin du retour : rebrousser chemin par la traverse des français ou suivre la traverse plus directe proposée par les secouristes mais potentiellement crevassée ? Nous nous encordons et prenons la pente en direction du milieu des roches.
Le retour se fera sans encombre malgré l’épuisement physique. Nous rentrerons le jour même à Piatigorsk après avoir rencontré au camp d’assaut nos amis russes de retour du sommet est qui nous proposeront une place dans leur 4*4.
Chapitre 2 – Face Sud
Maylis doit rentrer à Moscou. Pour moi, l’aventure reprend. J’avais pris quelques jours de marge au cas où la météo ne serait pas au rendez-vous. Je passe une nuit à Piatigorsk puis je file en mini-bus (trouvé sur blablacar) sur la face sud, plus facile d’accès et plus simple à réaliser en solo. Me voilà dès l’après-midi au village d’Azau puis je prends le téléphérique pour me rapprocher de mon hébergement au Barrel huts (que je ne recommande pas). La face sud est complètement ravagée. Les touristes affluent sur les remontées mécaniques et les tractopelles déchirent la terre. Le téléphérique me dépose sous le refuge. Bien acclimaté, je grimpe au pas de course.
Le lendemain s’annonce chaud et ensoleillé. Cette face ne me plaît pas. Je décide de rejoindre le sommet au plus vite et je cède à la proposition onéreuse et honteuse de prendre une dameuse. Nous partons des Barrel entassés aux alentours de 4h. A 4h40 la dameuse nous dépose à 5 000 m au début d’une traverse sous le sommet est. Le chemin est bien balisé et je dépasse une cinquantaine de touristes non acclimatés.
Juste après le col, en entamant le sommet ouest, la pente se raidit. Des cordes sont posées pour des voies de montée et de descente. Certains s’y attachent mais sans système d’assurage (j’ai tout laissé au camp) je n’en vois pas l’utilité. J’arrive enfin sur le plateau sommital puis je rejoins le sommet où je serai seul quelques instants.
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